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1974 -1984 : Chapitre 8

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SAVEUR : Roger et Roland sont à la tête d’une affaire dont le chiffre d’affaires ne cesse d’augmenter depuis la passation de pouvoir 2 ans auparavant. Leur gamme de vins fins s’agrandit chaque année un peu plus et cette recherche de l’excellence les mène tout naturellement à solliciter les meilleurs vignerons autant que les meilleurs chefs savoyards. Il faut dire qu’en dégustation, les deux frères sont d’une efficacité redoutable et leur réputation les précède lorsqu’ils arrivent sur les salons européens tels que Vinexpo, à Bordeaux (la référence mondiale de l’époque). Tout ne s’est pas fait tout seul, la rencontre avec Pierre Costes, vigneron à Langon, est primordiale.Ce dernier, en plus d’initier Roland et Roger à la dégustation des Bordeaux « nouvelle vague » (articulés sur le fruit et des tanins aimables notamment avec les Graves) les introduit également auprès de l’un des meilleurs dégustateurs de la planète, M. Goffard, originaire de Belgique. Bien qu’aveugle de naissance,  ce dernier voit immédiatement chez Roland et Roger cette appétence saine pour la dégustation et une boulimie d’apprendre. Résultat,  il les prend 10 jours sous son aile pour déguster à l'aveugle les grands crus des propriétaires de légende de Bourgogne dans un 1er temps puis d’Italie.

TEAM : Cette décade voit l’arrivée des 5 représentants qui vont se partager la région durant près de 20 ans, Claude Philippe (1972), Guy Lonjon (1974), Michel Servoz (1978), Régis Détraz (1981) sans oublier Michel Chappuis, débauché chez Pernod et qui en veut, encore aujourd’hui, à Roger de lui avoir fait signer son contrat de travail,  un 1er mai (1975) ! Cette même année, les Vins Duvernay rachètent l’affaire de négoce de Fornassier mais à la condition de garder  son emplacement central à la Foire de La Roche. Maintenant que le savoir-faire des Vins Duvernay est au top, il est temps de le faire savoir et quel plus beau promontoire que la Foire des Exposants. Une énergie folle est dépensée pour que le stand soit l’un des plus beaux : un bar, des tentures, de la déco, un salon privé, des invitations par centaines pour laisser aux représentants le privilège de recevoir leurs clients restaurateurs dans le plus bel écrin. Le stand devient le lieu privilégié des ministres, sénateurs et autres politiciens locaux venus sillonner les allées de la Foire. Et pour l’ambiance musicale, je vous laisse deviner qui fait retentir l’accordéon dans les allées de la foire. Les Vins Duvernay soignent leur arrivée et propagent une ambiance aussi professionnelle que festive.  Il faudra moins de 2 ans pour que Roger accepte les sollicitations de l’ensemble des exposants et en devienne le président et ce, durant près de 20 ans.

FORCE DE FRAPPE : Roger et ses représentants, mettent en place les "Pools d'Hiver", une stratégie basée sur la « mise en place » des vins dans les stations de ski et qui leur permet de rencontrer tous les bars et restaurants avant l'ouverture de la saison. Souvent en immersion durant 2 à 3 jours dans les plus grosses stations, c’est l’occasion de présenter leurs vins et d’accompagner chaque restaurateur dans sa sélection. Des amis restaurateurs, sorte de locomotives, jouent alors aussi le rôle de rabatteur en conviant chez eux, un frère, un cousin, ou un ami restaurateur en quête d’un négoce. Une émulsion saine touche l’ensemble des représentants des Vins Duvernay qui se réunissaient alors en station pour clore ces « Pools d’Hiver » par des parties de tarot mémorables. On parle notamment d’une fameuse partie, à Abondance, qui avait eu lieu dans les locaux de la perception et s’était terminée au petit matin, juste avant l’ouverture au public. Inoubliable ! Ainsi est née la belle équipe des caves du Châtelet alliant bonne humeur et efficacité

TRANSMISSION : Roger se rapproche également des écoles hôtelières pour la formation œnologique des élèves. S’il donne ces cours de dégustation gratuitement, il est largement payé en retour par les liens qu’il tisse avec les meilleurs élèves qu’il se fait une joie et un devoir d’introduire dans les plus belles maisons de la région (très demandeuses de jeunes sommeliers talentueux).  C’est au CFA de Groisy, sur une invitation de sa responsable sommellerie, Annie Crouzet, que Roger rencontrera le président des vins du Languedoc M. Jean-Philippe Granier (le père de Jean-Baptiste Granier – Les Vignes Oubliées). Ce dernier lui ouvre alors les portes de sa région et de là vont naitre des amitiés qui perdurent encore aujourd’hui, 40 ans et 2 générations plus tard. Toujours dans cette idée d’excellence et de transmission, Roger entre au syndicat des Vins de Savoie pour l’obtention des VDQS (Vin Délimité de Qualité Supérieure), son niveau en dégustation et son langage fleuri plaisent beaucoup et, là aussi, les réunions, bien que très professionnelles et protocolaires, arborent également un caractère festif ou règnent bienveillance et joie de vivre.

FORCE INFORMATIQUE : Autant Roger gère le terrain, autant Roland, lui, s’occupe du back office. Ce dernier s’intéresse à l’informatique mais déplore l’usage des cartes perforées, qu’il juge moyenâgeuses et surtout pas assez réactives. Son instinct l’invite à miser sur l’interactivité des dernières technologies informatiques et sur André Seifert, jeune diplômé de statistiques qui, pour le moment, officie plutôt à la cave. A cette  époque, il y a 3 langages : l’algol, le cobol et le fortran, Roland envoie alors André à Polytechnique Grenoble, pour suivre une formation basée sur le fortran en vue de développer, avec la complicité d’un programmateur extérieur,  un logiciel sur mesure, de gestion de commandes, de comptabilité, de gestion des stocks,  des prix de revient et des réappros. Un travail méticuleux de création de fiches clients, produits et fournisseurs se met doucement en place.  Seul hic, le programmateur extérieur, attiré certes par l’informatique mais surtout par la bringue, disparait du jour ou lendemain, ne laissant d’autre choix à Roland que de tout miser sur André. Ce dernier est  envoyé aussitôt suivre un stage d’anglais intensif, puis une formation de 3 semaines chez Hewlett Packard et enfin un stage informatique, en Bourgogne, chez le vigneron Beghin. A l’issu de ces quelques semaines de formations et de nombreux mois de programmation, voilà les Caves du Châtelet en possession d’un outil informatique créé sur mesure, aussi redoutable qu’indépendant grâce à la pugnacité du jeune statisticien, merci André.

EXCELLENCE : Cette décennie voit quelques très beaux millésimes : 1975, 1976, 1978, 1983. On garde notamment en tête l’exemple grandiose de la cuvée « Les Brûlées » un Vosne-Romanée 1er cru de 1980 de chez Henri Jayer, un vin exceptionnel, boudé par les critiques mais que Roland et Roger apprécient au point de parier dessus. Ce pari s’avère payant et leur ouvre les portes et la considération des meilleurs restaurateurs (le Père Bise notamment) qui apprécient à la fois l’exigence et l’intransigeance de la maison Duvernay.

« Apporte tes 24 vins, vieux briscard ! »

« Ok mais si je gagne, je sors le carnet de commande ! »

Ici, « vieux briscard » peut être vu comme un mot doux lorsqu’il vient ponctuer les échanges de passionnés entre Marc Veyart, alors chef de l’Éridan à Annecy et Roger, accompagné de son représentant Guy Lonjon. Ce soir-là, le chef challenge les Vins Duvernay et ces derniers répondent présent et remportent le challenge de sortir 1er à chacun de 24 vins en dégustation à l’aveugle.

« Tu as des Vins exceptionnels » rétorque Marc

Si la décence nous empêche de révéler le montant de la commande, on peut juste vous dire que ce soir-là, on atteint des sommets records d’émotion et l’immense fierté d’associer les Vins Duvernay au talent d’un chef aussi exceptionnel que fidèle.

TRANSMISSION :La complicité et l’amitié qui lient Roger et Marc se conjuguent alors à tous les temps de la transmission : le plus que parfait au Salon de la Gastronomie à Paris puis à Annecy, ou encore le futur avec des dégustations dédiées aux jeunes à la foire de La Roche, « la piste au Etoiles », etc… La dégustation à l’aveugle est également une technique qui peut s’avérer porteuse d’émulation dans d’autres sphères savoyardes. Roger suscite le débat et entretient l’autocritique, au sein du syndicat des vins de Savoie, en réunissant les vignerons de l’appellation et en les faisant goûter, à l'aveugle, non seulement leurs vins mais ceux des voisins, collègues et amis.

POTEAUX CARRÉS

"Dis donc vous y allez souvent chez Jaboulet, non ? » si Simone interroge ses deux garçons, c’est qu’elle voit bien que les fréquences de visites en vallée du Rhône s’accélèrent chaque mois un peu plus. Il faut dire que le foot n’est jamais loin et Saint-Etienne non plus. Cette décade voit le team des représentants Duvernay se déplacer à de nombreux matchs de Saint-Etienne, allant même jusqu’à Manchester pour la finale perdue de 1976. C’est M. Jaboulet qui est alors le maître des clefs, s’occupant d’acheter les billets pour la maison. Le foot toujours, lors de la demi-finale de l’Euro 84 où Roger, face à la grille du Parc des Princes qui refuse de s’ouvrir, introduit son doigt vers « le pêne » qui, suite à un mouvement de foule, se transformera en guillotine, lui sectionnant le bout du majeur… ce qui fera dire à un témoin de la scène, il vous manque 12.5% du doigts, en référence au pourcentage de votes en faveur de « Le Pen ». Roland et les autres représentants vivront à Marseille la demi-finale contre le Portugal, quelques jours plus tard. L’été 84 se vivra dans l’euphorie de la victoire de la France face à l’Espagne. Ainsi se termine cette décade 74 – 84 et, avec elle, sans doute aussi, la fin d’une forme d’insouciance. La décade à venir sera toute autre et comme dit Jackie Quartz : « La mort d’un amour donne la vie à un autre » mais ça, ce sera dans le prochain épisode.